Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
PROLOGUES
Archives
9 mars 1998

N°1. Manifestations festives et expressions du sacré au Maghreb

Abdellah Hammoudi : la Victime et ses masques, Paris, Seuil, 1988 ; Hassan Rachik : Sacré et sacrifice dans le Haut-Atlas marocain, Casablanca, Afrique-Orient, 1990.

par Driss Mansouri

Nous assistons à une floraison de travaux anthropologiques sur le Maghreb. Mais on ne peut qu’être surpris par le peu d’écho que ces travaux reçurent, le mutisme dont ils furent recouverts, au Maghreb même. Ce mutisme dénote de l’embarras que ne manque pas de susciter, chez ceux qui ont érigé le progrès en idôle, toute approche anthropologique. Il nous faut donc souligner que ces travaux prennent le contre-pied des orientations qui avaient antérieurement cours dans l’anthropologie maghrébine. Ils ne relèvent ni d’une volonté d’archaïsme ni d’une nostalgie folklorique.

 

Nous assistons aujourd’hui au Maroc à une floraison de travaux à caractère anthropologique. Qu’il s’agisse de l’ouvrage de A. Hammoudi, la Victime et ses masques1, de celui de H. Rachik intitulé Sacré et sacrifice dans le Haut-Atlas marocain2, ou d’autres, en cours de publication3, tous ces travaux ont pour point commun, le fait que leurs auteurs sont directement ou indirectement redevables de leur formation à P. Pascon, et que leurs itinéraires ont croisé à un moment ou un autre, celui de ce dernier. Nous n’irons pas cependant jusqu’à parler d’« école anthropologique marocaine » sous le patronage posthume de P. Pascon. Nous nous interrogerons plutôt ici sur la signification de cette floraison de travaux.
Le point de départ d’une grande partie de ces travaux fut une étude menée dans le cadre de l’INRA, sur l’activité pastorale et les moyens d’améliorer le cheptel en haute montagne. S’intéresser au sacrifice équivalait à ne pas se focaliser uniquement sur la production de viande, mais à se pencher aussi sur les occasions par excellence de sa consommation. Cet intérêt pour le sacrifice relevait aussi d’une volonté de retrouver à l’œuvre les mécanismes communautaires de groupe, plus ou moins obnubilés dans le quotidien par l’appareillage étatique. De sorte que A. Hammoudi peut écrire au début de son étude : « Parti à la recherche du rapport entre une société locale et ses techniques de production, nous nous trouvâmes projetés dans son rituel. » (A. Hammoudi, op. Cit., p. 9) De même, H. Rachik écrit que les représentations rituelles font partie intégrante des rapports sociaux. C’est à travers ces représentations que les rapports sociaux sont pensés, organisés ou légitimes. « Voilà comment, écrit H. Rachik, une pensée qui a pour objet des phénomènes « métasociaux » entretient des rapports étroits avec la structure sociale. » (H. Rachik, op. Cit., p. 145) Il n’y a pas, ajoute-t-il, le rituel d’un côté et la société de l’autre.
***
L’ouvrage de A. Hammoudi s’intéresse à l’antithèse que forme au Maghreb la fête du sacrifice (l’a’id-el-kébir) avec les mascarades qui lui font très souvent suite. On sait que l’immolation d’une victime couronne le long rite du pèlerinage, et bien qu’aucune obligation religieuse stricte ne les y astreigne, partout, les croyants restés chez eux, imitent cependant le geste de ceux qui sacrifient dans les lieux saints de l’Islam. Et dans une atmosphère de détente et d’abondance consécutive au sacrifice, les jeunes gens fraîchement mariés et célibataires, s’adonnent le lendemain à leur fête à eux qu’ils entendent exclusive des classes d’âge supérieur et inférieur ; et ils exigent et obtiennent la participation des jeunes filles et des femmes mariées. Une mascarade avec théâtre, procession et quête occupe le village pendant trois jours d’où, en principe, sont exclus les « vieux ». Les scènes de ce « théâtre dans la cité » comme l’appelle A. Hammoudi ressortissent à deux types principaux : une satire des moeurs d’une part et des scènes d’inversion des normes de la vie ordinaire d’autre part.
Pour Hammoudi, la mascarade, identique en cela au sacrifice, projette un discours fondateur. Mais alors que le sacrifice donne à l’impureté et au sacrilège une expression honteuse et crie très haut la pureté, la mascarade insiste sur la dualité du concret au moyen de termes et de relations (Bilmaun, juifs, esclaves, femmes, ouvriers, khammas) qui dans le quotidien même témoignent de l’altérité et de la contradiction sociale. Ils démentissent ainsi cette rigueur du pur que le sacrifice tente d’imposer et dévoilent au grand jour la rigueur du réel. C’est à la recherche d’un second fondement de la civilisation et de ses rôles (par rapport à ceux fournis pour le sacrifice) que procède le théâtre des masques. Le principe de cette fondation - surgi à la vie sous les traits de Bilmaun - est ambigu mais indispensable, agent de désordre, mais nécessaire à la reproduction de l’ordre humain. Ainsi par exemple, le viol de la porte du foyer par la troupe de l’homme aux peaux équivaut au « viol » de la femme, maîtresse de l’espace intérieur, par ce monstre. La complaisance de la femme vis-à-vis de ces hôtes singuliers, et la nécessité même de cette rencontre avec ces représentants du monde chtonien la place comme dans le sacrifice, du côté du danger et des puissances menaçantes, mais aussi du côté de la transgression manifestée par une « copulation » hors des règles admises du commerce sexuel. « Prostitution » incontournable, nécessaire, consubstantielle de l’ordre normal qui le cache, se demande Hammoudi ? Son lien avec la fécondité et la guérison, répond-il, le fait que la même troupe l’introduise (et simultanément avec elle la baraka) dans le foyer l’indique avec suffisamment d’insistance. » (A. Hammoudi, op. Cit., p. 224) Et il ajoute : « la violation sacrilège des sanctuaires et la conquête des femmes sont à l’origine des normes sociales qui se bâtissent ainsi autour de leur transgression. » (Id., op. Cit., p. 225).
Pour Hammoudi, la mascarade porte à son paroxysme les conséquences d’une hiérarchie des générations qui règle l’accès à l’érotisme, à la procréation prestigieuse et au pouvoir (Id., op. Cit., p. 243). Il souligne que les jeunes partent à la conquête des femmes et des maisons, au détriment des « vieux » dans un mouvement tenant à la fois du rire d’initiation et de la contestation(4).
Quant à la place faite à la femme dans la mascarade, écrit Hammoudi, tout se passe comme si on voulait jouer le dépassement d’une contradiction structurale entre système patriarcal et reproduction physique des lignages. « Infernale la femme, écrit-il, tout comme les puissances qu’elle adore. Mais combien nécessaire. Car sans elle, comment la reproduction pourrait-elle s’accomplir ? » (Id., op. Cit., p. 231) L’homme doit se résigner à passer par la femme pour obtenir ses successeurs. En d’autres termes, c’est elle qui fournit les mâles ;ceux-là mêmes qui doivent reproduire le groupe dans l’intégrité de ses valeurs et de son identité. D’où cette extraordinaire aporie : le détour par la femme, scandaleux selon les normes patriarcales et cependant impossible à éviter. D’où aussi une avalanche d’ambivalences dans l’image qu’on en donne. Hammoudi écrit à ce propos : « La dualité constamment menaçante, et peut-être exemplaire entre toutes, que représente le rapport homme/femme dans cette société patriarcale domine toutes les autres et, pour ainsi dire, colore l’ensemble. » (Id., op., p. 248)
On aura reconnu au passage dans Bilmaun, une figure ambiguë - très fréquente dans nombre de cultures - du héros fondateur, vénérable et pourtant burlesque, contradictoire et éloigné des hommes par ses actions, si souvent féroces, sanglantes et inclassables. Dans la mascarade, l’autre se présente sous la figure monstrueuse de Bilmaun et prend successivement visage d’esclave, de juif et de femme. A. l’ordre humain, Bilmaun est ce qu’esclave et juif sont à la communauté : l’autre. Il est altérité. Mais il est altérité radicale, alors qu’eux représentent des cases spécifiques dans la classification universelle des hommes. Cet être hybride posé en tant que limite extérieure, se déroule alors à partir de lui le continuum aboutissant aux hommes par excellence : la communauté villageoise. Les classes qui viennent d’apparaître forment donc un continuum reliant et séparant juif, esclave à Bilmaun comme limite d’une part, et à Dieu comme autre limite d’autre part.
Mais cette série établit le même type de rapport entre jeunes et adultes, car la mascarade est le fait en principe exclusif des jeunes hommes mariés et célibataires. Les jeunes, principaux acteurs du drame, seraient par rapport aux chefs de foyer les juifs par rapport aux musulmans, ou comme les esclaves par rapport aux hommes libres, ou les monstres par rapport à toutes ces catégories, compte tenu de leur indéfinition par rapport au statut de chef de foyer.
Comme la veille au sacrifice, tous se plient à une règle trouvant sa justification dans le fait qu’elle se trouve instituée par un être située à la limite et au-delà de l’ordre humain. Mais au niveau de la mascarade, il y a une double inversion de la règle, puisque dehors les hommes agissent comme des femmes, alors que dedans - dans la maison - les femmes agissent comme des hommes, recevant Bilmaun accompagné d’hommes aux organes sexuels hypertrophiés.
L’exégèse locale, c’est-à-dire ce que les acteurs pensent qu’ils sont en train de faire, et le sens qu’aurait pour eux leur propre action, est assez sobre puisqu’elle se résume souvent à une dénonciation. Par ailleurs, les oeuvres historiques arabes, sauf erreur, ne soufflent mot des fêtes célébrées en marge du calendrier musulman. « C’est dire que nous devons au seul regard extérieur écrit Hammoudi, la révélation des mascarades nord-africaines. » (Id., op. Cit., p. 33) cela ne veut pas dire pour autant que Hammoudi s’appuie simplement sur les acquis des travaux antérieurs. Au contraire il s’en démarque fortement.
Pour lui, il y a en quelque sorte deux fêtes dans ce qui sera décrit ici comme une seule et unique fête. « La description et l’interprétation de cet ensemble, sacrifice et mascarade, forment, écrit-il, la matière centrale de ce livre » (Id., op. Cit., p. 20). Et il ajoute : « Notre description commencera par le sacrifice musulman pour se poursuivre par la mascarade, les deux manifestations étant considérées comme deux parties solidaires d’un même processus festif. » (Id., op. Cit., p. 85) Les deux manifestations sont appréhendées par lui comme deux composantes d’un même ensemble. Et là réside une des grandes prises de position de cet ouvrage. Seul E. Westermarck intègre quelque peu le sacrifice musulman dans l’interprétation de la mascarade qui le suit.
La négligence du sacrifice musulman dans les travaux antérieurs procède d’une vision qui le place du côté des villes, des élites et de l’Etat arabo-musulman. Alors s’opère une disjonction qui implique que là, surtout dans la montagne berbère, subsistent des fêtes locales païennes.
Westermarck les oppose explicitement au rite musulman et en fait une sortie rituelle du sacré. Quant aux auteurs français, ils opèrent une séparation totale, et se concentrent sur les jeux et mascarade qui pour eux sont païens et anté-islamiques. « Toute l’hypothèse, écrit Hammoudi, si liée à la conjoncture coloniale, d’une quasi-religion concurrente de l’islam, et vivant d’une vigoureuse vie sous le manteau d’une islamisation superficielle, est là qui sous-tend l’ensemble de ces développement. La méthode ainsi assujettie à l’idéologie rend invisible une partie de la fête, qu’au contraire nous voudrions restituer dans sa totalité » (Id., op. Cit., p. 17-18). Et il poursuit un peu plus loin : « A l’évidence, l’état de la discipline ne pouvait ébranler le préjugé du moment, comme l’illustre avec éclat la disjonction entre solennité musulmane (sacrifice) et jeux païens (mascarade) » (id., op. Cit., p. 19).
Et en effet, pour Douté et Laoust, sacrifice et mascarade ne sont que la reproduction, en partie déguisée sous couleurs islamiques, du geste religieux archaïque et méditerranéen des Berbères. Ces deux auteurs choisissent un évolutionnisme posant le sacrifice chrétien au point d’arrivée d’une trajectoire que jalonneraient toutes les autres formes de pratiques et croyances. La religion des berbères eût pu naturellement évoluer vers cette ultime conception du sacrifice, n’eût été l’obstacle que lui posa l’Islam. Ce point de vue qui se trouve en partie explicitement formulé par Doutté, on le devine qui travaille en profondeur l’œuvre de Laoust. L’enjeu étant pour Doutté et d’autres à sa suite, la découverte d’une religion proche des anciennes religions méditerranéennes d’où serait issu le sacrifice chrétien, toute signification musulmane historique ou encore vivante, toute fonction liée à la vie actuelle des sociétés nord-africaines se trouvent fatalement occultées. « Il en résulte, écrit Hammoudi, que ces auteurs ne peuvent littéralement voir dans chaque fait observé qu’une manifestation particulière d’un système originel, produit de leur imagination théorique. » (Id., op. Cit., p. 85) On ne peut être plus clair. On ne peut être net. Est-ce à dire que nous assistons à la naissance d’une anthropologie en rupture avec les schémas directeurs antérieurs ? Il nous semble que pareille proclamation charrie une apologétique implicite, sur laquelle nous pouvons émettre les mêmes réserves émises à propos de l’appellation « école anthropologique marocaine ».
En analysant la mascarade, Hammoudi explore pour ainsi dire les zones extrêmes de l’altérité. En effet, ce qui est chez l’esclave, le juif, un état permanent, la forme normale de son existence, le jeune y participe durant la mascarade comme une période probatoire, une phase préliminaire qu’il faut avoir traversée pour s’en détacher complètement. Il expérimente ainsi tout ensemble l’autre et le même, la différence et la similitude dans leurs formes externes, leur incompatibilité, de façon qu’en se côtoyant, l’écart et la norme, le repoussoir et le modèle, rapprochés et confrontés, se trouvent plus clairement distincts. Dans la mascarade, dans leurs chants, en revêtant les masques, les jeunes endossent pour les exorciser en les singeant, le temps du rituel, les formes de l’altérité qui, dans leur contraste, jalonnent le champ où se situe l’adolescence et dont il faut avoir exploré les extrêmes frontières pour intégrer la norme. Endosser la personnalité en quelque sorte infra-humaine, du juif et de l’esclave est la condition indispensable pour accéder plus tard au statut de chef de foyer qu est celui de l’homme véritable.
C’est dire que l’interprétation que propose Hammoudi de ces manifestations divergentes et complémentaires que sont le sacrifice et la mascarade, se fonde sur une élaboration théorique de très grande portée. Elle n’est pas pour autant exemple de toute discordance.
Ainsi nous pouvons constater qu’à un premier niveau, l’approche de Hammoudi se veut description systématique et en profondeur d’une mise en scène par laquelle une société dit quelque chose sur elle-même, tout autant qu’elle se dit et qu’elle se manifeste à travers ce processus. (Id., op. cit., p. 21) « L’objectif écrit-il, est d’abord et avant tout, d’entendre ce que dit la fête que nous restituons et ce que, dans et par elle, les gens se disent d’eux-mêmes, et ensuite de mettre en parallèle ce type de société avec le type de discours qu’elle tient dans sa vie festive et rituelle ». (Id., op. cit., p. 27). Et il ajoute un peu plus loin : « Présenter les acteurs dans le milieu qui est le leur, et la fête en tant que narration, pour en retrouver non seulement le structure et le travail symbolique, mais aussi et surtout le discours que la société y tient sur elle-même. Constituent les objectifs que nous poursuivons ». (Id., op. cit., p. 56). Dès lors, comment concilier ces objectifs qui visent à analyser l’action humaine à partir de ce qu’en pensent et disent les acteurs eux-mêmes avec une recherche des fonctions latentes que recèlent d’autres passages du livre ? Ainsi l’auteur écrit : « L’un et l’autre (le sacrifice et la mascarade) esquissent et coordonnent non pas un, mais des discours dont certains se présentent quotidiennement à la conscience des acteurs alors que d’autres semblent peupler des aires de latence qui leur restent inaccessibles ». (Id., op. cit., p. 24-25). De même, il écrit qu’il en postule pas « le mythe comme justification et explication du rite. Nous nous efforcerons au contraire de les analyser séparément d’abord, pour rapprocher ensuite la série de propositions que l’on trouvera à l’œuvre dans l’un et l’autre. Alors apparaîtront certains rapports, entre eux qui, toutes proportions gardés, ressemblent à ceux qu’entretient le discours de la veille avec le discours onirique. Le second transfigurant le premier sans altérer tous ses traits, et recourant au contraste et à l’opposition pour les mêmes références ou des références similaires ». (Id., op. cit., p. 161). Sur la même lancée, Hammoudi écrit : « Le mythe du point de vue de la victime inverse le rites. Son travail, semblable en cela à celui de certains rêves, consiste à présenter de la victime une image inversée » (Id., op. cit., p. 196). Il écrit aussi : « Dans le sacrifice, mythe et rite nous sont apparus comme développant deux discours identiques à travers une opposition apparente… Technique fréquente du rêve ». (Id., op. cit., p. 222). Enfin il écrit : « On peut reconnaître dans tous les opérateurs l’équivalent de ce travail de distorsion que Freud a mis en évidence dans le fonctionnement du rêve, qui non seulement couvre un sens latent, mais permet au discours d’échapper à la censure » (Id., op. cit., p. 246) Notons au passage que l’analyse d’un rêve ne consiste pas à désigner son contenu latent comme étant la vérité du manifeste, mais à repérer, à travers les effets de déplacement et de condensation, l’activité de transtormation du récit dont le rêve est porteur. Plus fondamentalement, nous nous posons la question de savoir comment se fait l’articulation entre herméneutique et psychanalyse ?
En second lieu, nous estimons que Hammoudi aurait dû faire preuve de plus de circonspection dans son utilisation – à partir des travaux de Gluckman - de la notion de « rite d’inversion » qu’il utilise sans circonscrire sa valeur heuristique. Ainsi il écrit : « Tout se passe comme si cette double capacité contradictoire et simultanée de vivre par l’antagonisme et l’harmonie, par laquelle Gluckman attribue la persistance des organisations sociales et politiques, était livrée d’un seul coup et dans un unique mouvement. Le premier jour dans l’immolation d’une victime selon une règle uniformément admis, les suivants par la licence et la violation des comportements fondés sur cette règle ». (Id., op. cit., p. 157). Dans le rite dit d’inversion, se manifestait l’autre vérité des rapports sociaux et s’éclairerait la face cachée du pouvoir.
A ce propos, il nous semble, comme le souligne Marc Augé, que l’étude des rites en anthropologie a certainement été affectée par le souci de montrer soit qu’ils servait au fonctionnement de la société, soit qu’ils exprimaient et confortaient un état de société. Le même auteur remarque qu’il est toujours possible de souligner l’évidence et dans une perspective fonctionnaliste de montrer que les rites d’inversion ne font et ne visent qu’à renforcer l’ordre établi. Mais il est plus intéressant, ajoute-t-il, de souligner que dans la logique même du rituel, le caractère « établi » précisément des discrimination qui font le social est explicitement souligné et consciemment joué. Inverser ou pervertir les discriminations instauratrices du social (jouer avec les frontières de la norme et de la déviance en permutant les positions), finit-il par déclarer, c’est à la fois postuler leur nécessité et reconnaître leur arbitraire relatif5. dans le même sens, P. Bourdiau écrit : « Tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c’est-à-dire à faire méconnaître en tant qu’arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire ; ou ce qui revient au même, à opérer solennellement, c’est-à-dire de manière licite constitutives de l’ordre social et de l’ordre mental qu’il s’agit de sauvegarder à tout prix »6.
Certes il est toujours possible de se demander pourquoi en certains circonstances, très officiellement, les normes habituellement respectées ne le sont plus, et par certains aspects peuvent même sembler s’inverser. Devant le caractère provoquant de ces rites, on ne peut manquer de se poser la question de savoir pourquoi une société tolère-t-elle ou plus exactement impose-t-elle en certains circonstances et à certains, un renversement des normes habituelles ? Mais il nous semble qu’il serait plus judicieux à l’instar de Larc Augé, de se demander : « Le terme inversion est-il pertinent, s’appliquant à ce type de pratiques ?... Faut-il faire un sort à part à ces rituels dits d’inversion ou les inclure dans une logique rituelle plus vaste ?7».
Le livre de Hassan Rachik est une étude du ma’rouf, réalisée à partir d’une enquête chez les Aït Mizane et les Aït souka –tribus située dans le Haut Atlas marocain, au Sud de Marrakech. Le ma’rouf est défini comme la consommation d’un repas sacrificiel en dehors de l’unité domestique. C’est un repas constitué d’aliments sacrifiés consommés en dehors du foyer domestique. Le repas consommé en commun crée des liens désignés en arabe par l’expression « chrekna t’am » et en berbère par l’expression « Cherken tissent » (ils sont associés par le sel). La consommation d’un même repas durant le ma’rouf engendre l’obligation de s’abstenir de se faire du mal. Les informateurs soulignent d’ailleurs que la nourriture du ma’rouf reste une année dans le ventre. C’est dire que le repas pris en commun durant le ma’rouf crée une communion durable. Plus précisément, H. Rachik distingue huit phases dans le ma’rouf : la phase préparatoire, le sacrifice sanglant, le sacrifice démoniaque (isgar), la cuisine des repas, la première cuisson du couscous (dite tasseksout tamezouarout), le repas commun (plus particulièrement appelé ima’rouf), la vente aux enchères des restes de la bête sacrifiée, et enfin la récitation de la fatiha. Il n’est pas question de résumer ici la description que Hassan Rachik donne de ces différentes phases ; contentons-nous de nous arrêter sur certaines d’entre elles.
L’isgar ou sacrifice démoniaque est un repas dédié aux jnouns et qui précède le repas consommé par les humains. L’isgar consiste dans de la farine malaxée avec de l’eau prise dans la marmite où on a mis à bouillir la viande sacrifiée. Une femme se charge généralement de cette opération. Elle doit observer plusieurs tabous : il lui est interdit de saler la nourriture offerte aux jnouns, elle doit éviter de parler, il lui est interdit d’utiliser la main droite pendant la préparation et l’accomplissement du sacrifice. Le sacrifice consiste à jeter ce produit, avec la main gauche, dans tous les endroits où les jnouns sont susceptibles de résider.
En nous arrêtant, avec Rachik, sur certains de ces tabous, nous constatons que le mode de consommation démoniaque consiste dans de la nourriture fade, dédiée avec la gauche en observant un mutisme rituel, alors que le mode de consommation humain consiste dans de la nourriture salée et épicée, dédiée et consommée avec la main droite en proférant des rites oraux. Nous pouvons en conclure, toujours avec Rachik, que « l’absence de sel, qui définit deux types de nourriture, serait le symbole, le critère d’une séparation ontologique entre deux classes d’êtres, les humains (lins) et les jnouns ». (Id., op. cit., p. 63). H. Rachik constate par ailleurs que le sel n’est pas jeté sur le sang des victimes sacrifiées au ma’rouf, comme cela se produit dans le sacrifice annuel de l’a’id-el-kébir dit tafaska (Id., op. cit., p. 70). Les jnouns, comme on le sait sont amateurs de sang. Ainsi le sang des victimes du ma’rouf est dédié aux jnouns et la chair aux humains (Id., op. cit., p. 70).
Rachik fait remarquer, en outre, que le produit sacrifié aux jnouns (farine+eau) est du pain auquel manque la cuisson et le sel. Plus généralement, en comparant les différents sacrifices démoniaques, il constate que les aliments cuits n’y figurent pas (il s’agit par exemple de farine, de lait, d’œufs, de sang, d’huile ou de henné). Donc, la composition des sacrifices dédiés respectivement aux jnouns et aux humains, opposerait le cru au cuit, la consommation de la nourriture crue pour les jnouns à la consommation de la nourriture cuite pour les humains (Id., op. cit., p. 72).
H. Rachik ne s’arrête pas seulement sur la notion de fadeur liée à l’isgar ; il s’interroge aussi sur la signification de l’utilisation exclusive de la main gauche durant ce sacrifice. Les informateurs, quand ils cherchent à expliquer la signification de ce geste, le mettent en rapport avec le récit relatif à la création de la femme et selon lequel celle-ci est sortie de la côte gauche d’Adam. Par ailleurs, le gaucher est assimilé à une personne de mauvaise augure (diet oufdir ou ousbih) qui provoque des malheurs involontairement, par le seul fait de la rencontrer à un moment déterminé de la journée. Plusieurs actes quotidiens supposées exclusivement techniques font appel à cet impératif. Ainsi il n’est pas question de faire tourner le moulin pour moudre le grain ou les animaux lors du dépiquage, dans le sens des aiguilles d’une montre. C’est que la notion de gauche est, selon les situations, assimilée au démoniaque, au mal, au mauvais, aux malheurs, à la sorcellerie ou à la femme. Elle a une fonction discriminatoire. « Elle sert, dit Rachik, à classer d’autre, le différent, en distinguant le démoniaque des humains, et parmi ceux-ci les femmes des hommes » (Id., op. cit., p. 70).
L’opposition droite/gauche dans le ma’rouf, symbolise la supériorité de l’homme sur la femme. De même, dans l’utilisation exclusive de la gauche pendant l’isgar, il s’agit de souligner l’infériorité des jnouns par rapport à Dieu, aux anges et aux saints dont l’isgar, il s’agit de souligner l’infériorité des jnouns par rapport à dieu, aux anges et aux saints dont les sacrifices doivent se faire avec la main droite. Cette répartition des rôles, exprimerait la division sociale du travail, entre activité pastorale assurée par les hommes et, activité culinaire qui incombe aux femmes.
Dans le ma’rouf donc, la division sociale du travail rituel confirme le statut sexuel des actants, en ce sens que les rôles attribués aux deux sexes ne contredisent pas leurs rôles sociaux séculiers. Si c’est la femme qui sacrifie l’isgar, c’est qu’elle est représentée comme le sexe le plus proche des êtres démoniaques. Pour schématiser, l’activité la moins valorisée revient au sexe le moins valorisé.
L’auteur constate cependant qu’à l’instar des rites religieux, le sacrifice démoniaque est exécuté en public et au nom de la collectivité. Plus même, la sacrificatrice d’isgar doit procéder avant le sacrifice démoniaque aux même ablutions exigées pour accomplir les prières. Tout cela amène Rachik à dire que, c’est une opposition entre deux catégorie de sacré plutôt qu’une opposition entre le sacré et le profane qui est sous-jacente aux oppositions « homme/femme » et « droite/gauche » (Id., op. cit., p. 105). Ainsi le sacré n’est pas le domaine exclusif des hommes. Les rites et les représentations établissent une classification hiérarchique entre deux catégories de sacré qui recoupent la division sexuelle du travail rituel. « Il existe, dit Rachik, pour ainsi dire, un sacré viril et un sacré féminin ; mais le premier est sur le plan rituel et exégétique, supérieur au second » (Id., op. cit., p. 108).
Donc, à la fois le ma’rouf et l’isgar sont des repas sacrificiels qui assurent la communication avec le sacré. Mais si dans l’isgar, les jnouns ont une existence séparée et indépendante des sacrifiants, dans le ma’rouf, le sacré est inséparable des familles sacrifiants qui consomment en commun. Il cherche à réaliser la symbiose de la collectivité, entité sacrée composée des sacrifiants eux-mêmes groupés en vu de la consommation d’un repas sacré (Id., op. cit., p. 132).
Rachik rappelle à ce propos que le terme arabe haram s’applique aux choses interdites, aux choses sacrées, pures ou impures. « Le sang, le vin, le porc, objets impurs par excellence d’une part, écrit-il, d’autre part le ka’ba, la mosquée, lieux saints, sont tous qualifiés par le terme haram » (Id., op. cit., p. 133). Par contrecoup, il souligne que le halal, n’est pas le profane, mais le domaine du licite, du non prohibé (Id., op. cit., p. 134).
Entre le repas humain et le sacrifice démoniaque, s’intercale un autre repas appelé « tasseksout tamezouarout » (ce qui signifie première cuisson du couscous). Ce couscous doit son nom au fait qu’il n’est cuit qu’une seule fois, contrairement au repas principal ou aux repas domestiques qui exigent, aux, une double ou une triple cuisson. Il est donc difficile de qualifier la tasseksout tamezouarout de crue ou de cuite. Elle ne peut être qualifiée de cuite parce qu’un minimum d’une double  cuisson lui manque, comme elle ne peut être qualifiée de crue parce qu’elle est à moitié cuite. La consommation du couscous à moitié cuit se situe entre l’isgar et le repas collectif comme un passage équivoque d’un repas totalement démoniaque à un repas totalement humain (Id., op. cit., p. 79) .
Le « couscous mi-cuit » n’est consommé ni avec la main droite ni avec la main gauche, mais au moyen des deux mains jointes. Les deux oppositions « cru/cuit », « droite/gauche » ne jouent donc pas au niveau de cette phase du rituel. En outre, le « couscous mi-cuit » n’est pas consommé, comme le ma’rouf, par petits groupes de personnes, mais individuellement. Chaque assistant reçoit dans ses mains jointes du couscous à moitié cuit qu’il consomme directement avec sa bouche. La consommation de la tasseksout ramezouarout ignore donc les ustensiles, et les participants qui mangent le couscous mi-cuit à même leurs mains jointes, semblent adopter implicitement le mode de consommation démoniaque.
Ainsi le caractère non-cuit du couscous, la double négation de la main droite et les ustensiles, le mode de consommation individuelle, constituent des indices qui permettent de qualifier la tasseksout tamezouarout comme repas démoniaque. En la consommant, les humains communiquent avec les jnouns en imitant leurs manières de manger. D’ailleurs, souligne l’auteur, dans le village de Tadmant, la qualification de la première tasseksout de démoniaque ne laisse aucun doute, puisque les participants mangent le première tasseksout sans sel. De même lors du rituel qui inaugure les labours appelé tighersi nla’da, les participants consomment individuellement, dans leurs mains jointes des grillades de maïs cuites sans sel c’est-à-dire une nourriture démoniaque (co,sommation individuelle, négation d’ustensiles), elle demeure ambiguë. Par certains aspects (double négation de la gauche et de la droite d’une part, et du cru et du cuit d’autre part), elle ne peut être classée ni comme repas humain ni comme repas démoniaque. Cette ambiguïté correspond, souligne Rachik, à la position intermédiaire que la tasseksout tamezouarout occupe entre la phase d’isgar (repas démoniaque) et la phase du ma’rouf proprement dit (repas humain) (Id., op. cit., p. 74).
Donc le ma’rouf conceptualise les rapports entre le démoniaque et l’humain d’une part, le collectif et le privé d’autre part. c’est que le rite ne désigne pas seulement un système de communication avec le monde imaginaire ou mythique, mais à travers lui, c’est la société elle-même qui cherche à s’exprimer et à justifier les rapports qui la régissent. En établissant des rapports verticaux avec le sacré, la société cherche à consolider les rapports horizontaux qui existent entre ses membres.
De ce point de vue, souligne Rachik, le ma’rouf aurait pour fonctions de réaffirmer la cohésion du groupe qui le célèbre. Il symbolise la dépendance mutuelle entre familles. C’est que le village constitue un cadre social nécessaire pour l’activé économique domestique, comme cela se manifeste par exemple lors de l’entretien des canaux d’irrigation. Par ailleurs, c’est grâce au sacrifice des quotes-parts que chaque famille marque son identité et son appartenance au groupe sacrifiant. Rachik note, à ce propos, que chaque groupe social qui commence à prendre de l’importance –surtout au niveau démographique- commence à se définir sur le plan rituel, en célébrant des ma’roufs occasionnels. La célébration commune du ma’rouf, ne signifie d’ailleurs nullement la cessation de la compétition entre familles, comme cela se voit clairement lors de la phase de la vente aux enchères des restes de la victime. « La cohésion sociale, écrit Rachik, n’est donc pas incompatible avec les tensions sociales et les relations sociales inégalitaires et conflictuelles » (Id., op. cit., p. 99).
Plus généralement Rachik conclut que, les représentations rituelles font partie intégrante des rapports sociaux. C’est à travers ces représentations que, les rapports sociaux sont pensés, organisés ou légitimés. « Ainsi, écrit Rachik ; les différents rites relatifs aux jnouns, qui paraissent relever uniquement de la métaphysique, fournissent une série d’idées qui s’articulent aux rapports entre l’homme et la femme » (Id., op. cit., p. 145). C’est grâce aux notions de droite et de gauche, de la parole et du silence que, les relations entre les deux sexes sont « conçues » et « vécues ». plus précisément, c’est à travers la supériorité de la droite sur le gauche, du sacré orthodoxe sur le sacré anonyme, de la culture sur la nature, que sont représentées la supériorité et la domination de l’homme sur la femme.
Il ne s’agit bien évidemment pas ici de résumer le livre de H. Rachik. Les descriptions et analyses qu’il recèle, défient toute tentative de ce genre. Il s’agirait plutôt ici d’une lecture sélective c’est-à-dire orientée, visant à donner assise à une série d’objections articulées en quatre points et à une interrogation d’ordre générale.
En premier lieu Rachik fait ressortir le sel comme facteur discriminatoire qui distingue le cru du cuit, la nature de la culture. Dès lors les jnouns se trouvent placés du côté de la nature. Dans quelle mesure peut-on effectivement faire des jnouns des êtres naturels ? Cette objection nous paraît d’autant plus fondée qu’elle semble transparaître dans certaines hésitations au niveau de la formulation chez l’auteur. Ainsi il écrit : « Il set inutile d’insister sur le langage comme attribut exclusif des humains et l’absence de langage comme caractéristique des êtres naturels (ou surnaturels) ». (Id., op. cit., p. 85). Les jnouns sont-ils des êtres naturels ou surnaturels, naturels ou culturels ?
En second lieu, l’analyse de l’isgar aboutit à distinguer deux sortes de sacré : un sacré viril et un sacré féminin, un sacré orthodoxe et un sacré que Rachik se garde bien de qualifier d’hétérodoxe (il préfère le terme anonyme). D’un point de vue théorique, il nous semble que le sacré, en tant qu’absolu ne peut être dichotomique, autrement dit, le sacré étant principe de dichotomie ne peut être lui-même dichtomique, étant principe d’ordre il ne peut receler le désordre en son sein. En outre, nous ne voyons pas quel statut H. Rachik pourrait donner à ce sacré que nous qualifions d’hétérodoxe, sans retourner aux vieilles rengaines de l’ethnographie coloniale qui cherchait dans tout rite populaire les vestiges d’un culte pré-islamique et dont les analyses de Rachik prennent explicitement le contrepied.
En troisième lieu si l’analyse de la phase de l’isgar aboutit à distinguer les humains des jnouns, les descriptions de la tasseksout tamezouarout aboutissent à mettre l’action sur l’adoption sur les humains du mode de consommation démoniaque. Dès lors s’agit-il d’imiter les jnouns (de faire un avec eux) ou de s’en distinguer ? S’agit-il de s’en rapprocher ou de s’en éloigner ? Il nous semble que la réponse à cette question demanderait une certaine élaboration de la notion d’ambivalence. De ce point de vue les jnouns relèveraient de l’Autre (le grand Autre).
En quatrième lieu, nous convenons avec Rachik que l’opposition sacré/profane tombe, l’opposition privé/collectif sur laquelle se fonde la définition du sacrifice chez Rachik, s’écroule du même coup. Autrement dit nous mettons en parallèle la dichotomie sacré/profane et la dichotomie collectif/privé pour dire qu’en l’absence du profane, le statut du privé demande à être mis au diapason d’une société où le sacré est omniprésent.
Ces objections ne cherchent nullement à minimiser l’ampleur et la rigueur du travail de Rachik. Elles cherchent plutôt à le circonscrire comme chaïnon dans la renaissance des travaux anthropologiques à laquelle nous assistons aujourd’hui. Mais alors, c’est cette renaissance même qu’il conviendrait d’interroger pour conclure. Dans un article de son recueil savoir local, savoir global. C. Geertz demandait : « Comment aller fureter dans le tour d’esprit d’un autre peuple ? » (Id., op. cit., p. 75). Bien évidement ce n’est pas dans le tour d’esprit d’un autre « peuple » que H. Rachik est allé fureter. Mais alors que signifie cette préoccupation d’ordre anthropologique dont le travail de Rachik et celui de A. Hammoudi témoignent ? Est-ce l’indice de l’accentuation des disparités dans une société à deux vitesses ? Est-ce la conséquence de clivages dans le mode de vie qui font qu’une enquête dans le sud marocain fait figure de voyage à reculons dans le temps ? Poser ces questions c’est chercher la signification des préoccupations anthropologiques qui commencent à se manifester mais c’est aussi interroger le chercheur sur son implication personnelle dans son travail, puisque cette implication chez Rachik ne transparaît pas clairement, contrairement à Hammoudi.
Dans le sacrifice, il s’agit de faire place à une mise à mort non criminelle. Avec ingestion. Incorporation ou introjection du cadavre. Tout cela relève du besoin, du désir de la justification de la mort. La mise à mort y est présentée comme dénégation du meurtre. La mise à mort de l’animal, dit cette dénégation ; ne serait pas un meutre8. évidences, dirait-on. Mais toutes les évidences ne sont pas des truismes ni des lieux communs ? a tout le moins, elles montrent que la renaissance des travaux anthropologiques, à la quelle nous assistons aujourd’hui, ne révèle ni d’une mentalité d’assiégé. En tout état de cause, le nationalisme auto-proclamé est un peu court comme approche anthropologique. ■
Notes :

1-    Abdellah Hammoudi : La victime et ses masques, Paris, Seuil, 1998.
2-    Hassan Rachik : Sacré et sacrifice dans le Haut-Atlas marocain, Casablanca, Afrique-Orient, 1990.
3-    Nous pensons en particulier ici aux travaux de A. Diouri sur la nourriture sacrifice chez les Gnaouas.
4-    Id., op. cit., p. 248. Hammoudi écrit aussi : « Quant aux jeunes, rien d’étonnant à ce qu’ils célèbrent avec tant d’éclat à la suite du sacrifice » (p. 230).
5-    Cf. M. Augé : « La Norme des autres », in Normes et déviances, Actes des 31e rencontres internationales de Genève, éd. De la Baconnière, Neuchâtel, 1998, p. 358.
6-    P. Bourdieu : « Les rites comme actes d’institution », in les Rites de passage aujourd’hui, Actes du colloque de Neuchâtel 1981, Lausanne, l’Age d’homme, 1986, p. 206-207.
7-    M. Augé : « Quand les signes s’inversent, à propos de quelques rites africains », in Communication, 28, 1987, p. 56.
8-    CF. J. Derrida : « Il faut bien manger, ou le calcul du sujet », entretien avec J.L. Nancy, in Confrontation, n° 20, hiver 1989.

Publicité
Commentaires
PROLOGUES
Publicité
Derniers commentaires
Publicité