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9 mars 1998

N°1. La critique historique au service de la foi

Hussein Amin : Le livre du musulman désemparé pour rentrer dans le troisième millénaire, trad. Richard Jacquemond, coll. Essais, Ed. La Découverte, Paris, 1992.

Richard Jacquemond est un chercheur bien inspiré. En effet, après avoir traduit les ouvrages de Mohamed Saïd al-Ashmawy (l’islamisme contre l’islam)1 et de Fouad Zakariya (Laïcité ou islamisme : Les Arabes à l’heure du choix)2, il a élu dernièrement l’ouvrage de Hussein Amin : Le Livre du musulman désemparé, pour entrer dans le troisième millénaire (Prix du Salon du Livre du Caire en 1984). Son choix s’est ainsi porté, au fil des dernières années, sur une série d’ouvrages remarquables. Dans les trois cas il s’agit de réactions d’intellectuels face à un formidable défi : celui que représente la remise en cause de la rationalité et, dans certains cas, de l’ordre social, par l’invocation abusive de la parole de Dieu.
Peut-on lui reprocher un choix trop partisan ? D’avoir privilégié des auteurs que les milieux intégristes considèrent  comme des ennemis irrécupérables de la vrai foi, des écrivains plus ou moins « mis à l’index » par les représentants de la tradition orthodoxe ? Celui paraît difficile tant les écrits et les attitudes de ces derniers, orthodoxes et fondamentalistes réunis, ont fait l’objet d’intérêt et parfois de médiatisation intenses, malgré leur absence d’originalité et leur attachement à des formes et des représentations moyennâgeuses. Les textes choisis par Jacquemond font passer au lecteur occidental un souffle de l’« autre » opinion, et lui permettent ainsi d’avoir une idée du débat qui fait rage dans le monde arabe. A ce titre, ils contribuent, autant que des publications savantes peuvent le faire, à équilibrer l’impression créée par les media occidentaux.
Bien inspiré, Jacquemond l’est également par sa manière de traduire des textes au rythme bien particulier. Sans coller à la lettre, ce qui aurait rendu la lecture rébarbative, il réussit à rendre avec intelligence et fidélité les sinuosités des argumentations, et parvient à placer le lecteur en plein dans des débats intensément vécus.
Dans le cas de Hussein Amin, il parient à faire passer l’étonnante particularité de cet auteur qui, tout en proclamant une intangible fidélité au credo fondamental de l’islam, s’emploie avec un rare talent à mettre en pièces tout ce que les uns et les autres prétendent en déduire. D’une part, les ulamas, dépositaires officiels de la traduction multi-séculaire, voient leurs échafaudages replacés, par une relecture patiente des sources les plus fiables et les plus respectées, dans les contextes à partir desquels ils les ont eux-mêmes construits et les montre comme des élaborations humaines produites en réponse à des circonstances historiques bien déterminées. D’autre part, les champions auto-proclamés d’un retour au modèle pur et parfait de la première heure voient leurs exemples sublimes ramenés aux conditions historiques particulières qui ont vu des idéaux supérieurs s’incarner dans des formes profanes, ultérieurement sacralisées aux dépens des principes qu’elles étaient censées illustrer. Dans un cas comme dans l’autre, l’arme de la critique historique est maniée avec rigueur et détermination. Hussien Amin montre à ce propos qu’il est le disciple le plus accompli de son père, Ahmad Amin, celui qui a mis en branle le plus vaste mouvement de réécriture de l’histoire intellectuelle islamique. Comme le note Jacquemond, « C’est bien en cela que se situe l’intérêt, et aussi le défi, de la démarche de Hussein Amin : dans cette combinaison entre un postulat de départ d’ordre religieux, et son application, au moyen d’outils intellectuels strictement profanes, à l’ensemble des sources de la pensée musulmane : biographie du Prophète, exégèse coranique, hadith, histoire des sectes musulmanes »3. La devise de Hussein Amin semble être la suivante : « … Notre premier devoir est un devoir de véracité historique. Ce courage exemplaire, dont font preuve les croyants prêts à sacrifier leur vie pour leur foi, doit aussi se traduire par une confrontation franche avec l’histoire, si amère soit-elle, hors du romantisme qui caractérise et déforme trop souvent les visions musulmanes de l’histoire. La foi peut déplacer les montagnes, mais seule la connaissance permet de les déplacer au bon endroit !»4.
L’attitude de Hussein Amin paraît en fin de compte la plus conforme aux exigences extrêmes que peut formuler un croyant moderne, fermement attaché à la foi islamique et bien inséré dans son siècle et dans les représentations proposées par la science et la philosophie contemporaines. « La vocation universaliste de l’islam n’est pas abandonnée, mais ramenée à une éthique, un ensemble de normes et de valeurs dont on attend qu’elles « imprègnent » la vie des individus et des sociétés musulmanes, en dehors de toute crispation formaliste »5. Il en résulte que l’approche religieuse ne peut se substituer à la pratique politique ni, à fortiori, la nier, la religion peut fournir les principes éthiques qui fondent l’ordre social mais non définir les mécanismes par lesquels il devrait être régi - ceux de la démocratie par exemple-, ni, à plus forte raison, les rejeter comme contraires à la foi.
Il s’agit là d’une approche, nous dit Jacquemond, qui « …s’apparente … à celle de M. Said Al-Ashmawy, avocat d’un « fondamentalisme rationaliste et spiritualiste » dont les contours semblent finalement assez proches de ceux de l’islam selon Hussien Amin : l’un et l’autre sont les héritiers d’une tradition musulmane authentiquement libérale et tolérante, qui a connu son âge d’or dans l’Egypte de l’entre-deux- guerres, et que l’émergence récente de courants plus radicaux a conduit nombre d’observateurs, et le grand public à leur suite, à enterrer un peu vite »6.
Il était grand temps de le rappeler. ■

Les notes :
1-    Le Caire, 1987, trad. Et préface de Richard Jacquemond, Ed. El-Fikr, Le Caire et la Découverte, Paris, 1989.
2-    Articles publiés au Caire entre 1986 et 1989, trad. Et préface de Richard Jacquemond, Ed. Al-Fikr, LE Caire et la Découverte, Paris, 1991.
3-    Op. cit., p. 6.
4-    Op. cit., p. 141.
5-    Op. cit., p.7.
6-    Op. cit., p. 8.

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